mercredi, juin 14, 2006

Pour la poursuite des fouilles et le respect des règles d'urbanisme

Source : conférence de presse du 7 juin 2006
Auteur : Association San Ghjuvanni


En décembre 2004, la mairie d'Ajaccio accordait sur les parcelles 102 et 103 un permis de construire pour l’édification d’un immeuble de 6 étages. Le Préfet ordonna par arrêté une campagne de fouilles (cette zone étant décrite par différents auteurs tels Mgr de la Foata au XIXe, F. Robinet en 1835, F. C. Marmocchi en 1852, P. Mérimée en 1840, comme étant un important centre épiscopal mentionné par le pape Grégoire Le Grand en 601).
En mars 2005, les archéologues de l'INRAP font des recherches pour une durée de 2 mois. Il en résulte 80 sépultures, poteries et objets divers mis au jour. Les spécialistes ne pensaient plus rien trouver et envisageaient de stopper les recherches. Grâce à la mobilisation du collectif San Ghjuvanni, les fouilles reprirent et mirent au jour un baptistère du IVe (à ce jour 15 ont été retrouvés en France dont 4 en Corse).
Cette découverte exceptionnelle eut un retentissement national et international dans la communauté scientifique. Les archéologues auraient dû poursuivre leurs recherches sur l’ensemble du site car, d' après Geneviève Moracchini-Mazel (chercheur honoraire au CNRS), il y a, à côté des vestiges de la cathédrale primitive S. Maria, les ruines de la basilique S. Eufrasio ainsi que le siège épiscopal. En 1963, elle fit des sondages à l'occasion de la construction d'un immeuble voisin et mis au jour des pierres qui semblaient appartenir à l'angle nord est de la cathédrale romane S. Ghjuvanni (les cathédrales romanes était souvent bâties à proximité ou sur des vestiges plus anciens). Elle ne put aller plus loin car à l’époque le mur mis au jour courrait sous les fondations d' une maisonnette rose qui se trouvait sur la parcelle 102 à quelques mètres seulement de l’emplacement du baptistère paléochrétien. Après cette découverte, il fallait donc poursuivre les investigations sur la totalité des parcelles 102 et 103, et cela jusqu’au substrat. Des sondages ont bien été effectués mais, faute de moyens techniques suffisants, 3 sondages seulement ont atteint le substrat stérile. Depuis, une nouvelle demande de permis de construire a été déposée ce qui a aboutit à un permis modificatif accordé le 19 mars 2006. Les 320 places de parking qui étaient initialement prévues sur l’emplacement du baptistère sont positionnées maintenant sous l' immeuble. A leur place est prévue la construction d'un antiquarium qui est censé protéger et valoriser les vestiges du baptistère.
Les parcelles 102 et 103 sont privées et les constructions sont réalisées par un promoteur privé. Il n' y a actuellement aucune cession, aucun transfert au bénéfice de la mairie d'Ajaccio ou d'une autre collectivité. Nous avons donc créé l'association San Ghjuvanni pour demander la poursuite des fouilles et pour nous opposer à ce permis de construire aberrant. Le promoteur ajaccien honorablement connu fait son métier, de notre côté nous ne sommes pas opposés aux constructions à condition que le site soit fouillé de fond en comble et que les règles d'urbanisme soit respectées... Il serait anormal que l' on accorde un permis de construire en contradiction avec le POS comme cela semble être le cas (ce qui fait l' objet d'un recours auprès du Tribunal de Grande Instance de Bastia). Notre but se limite à la sauvegarde et à la valorisation de notre patrimoine. Nous ne laisserons pas les pelleteuses le détruire.

Association San Ghjuvanni

Vers un classement du site… peut-être fin 2007 !!!

Source : réunion du Conseil des sites du 29 mai 2006.
Auteur : Association San Ghjuvanni


Le 29 mai dernier, lors de la réunion du Conseil des sites siégeant en formation « Patrimoine », Mme Simone Guerrini, Conseillère exécutive à la Collectivité Territoriale de Corse en charge de la Culture et du Patrimoine, a interrogé en fin de séance M. Joseph Cesari, Conservateur régional de l’archéologie, au sujet du classement des vestiges découverts à San Ghjuvà d’Aiacciu. Ce dernier a répondu que l’examen de ce dossier en Conseil des sites ne pourrait intervenir que lorsque les documents finaux de synthèse (DFS) seraient remis à son Service Régional d’Archéologie (SRA) dépendant de la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC). Ces DFS devraient être déposés par le responsable des fouilles préventives, M. Daniel Istria, au cours de l’année 2007. Interrogé ensuite par M. Stéphane Orsini, l’un des représentants associatifs siégeant à ce Conseil, qui désirait savoir pourquoi il fallait attendre tant de temps (alors qu’ailleurs des mesures d’urgence prises par l’Etat ont permis le classement rapide des sites), M. Joseph Cesari a répondu que la rédaction de ces DFS demandait du temps et que M. Daniel Istria, qui n’est pas du genre à bâcler son travail, s’y appliquait beaucoup…
On peut légitimement se demander ce qui peut bien retarder, scientifiquement parlant, la remise de ces fameux DFS alors que de nombreux articles, souvent très détaillés, ont déjà été publiés par M. Daniel Istria (voir en dernier lieu le numéro du mois de juin de la revue « Archéologia »)… Peut-être une rectification chronologique ?

Association San Ghjuvanni

Le Conseil des sites de Corse : Installé le 25 novembre 2002 suite au transfert de compétences prévu par la loi de janvier 2002, il comprend 42 membres répartis en trois collèges : Etat/collectivités territoriales/associations et personnalités qualifiées. Il est composé, outre la formation plénière, de trois formations spécialisées : les sites perspectives et paysages, les unités touristiques nouvelles, le patrimoine. Le Préfet de Corse préside le Conseil des Sites et le co-préside avec le Président du Conseil Exécutif de Corse quand il se réunit en formation du patrimoine. Une section des recours a également été créée au sein du Conseil. Le Conseil des Sites est chargé essentiellement de la protection des sites, des autorisations de construire en sites protégés, des propositions de classement (monuments historiques, vestiges archéologiques, création d’unités touristiques nouvelles, espaces boisés classés, usines hydrauliques…).

Les débuts de la chrétienté en Corse et à Nice

Source : article Corse-Matin du lundi 6 mars 2006, p. 24.
Auteur : Pierre Claverie

De nouvelles fouilles menées à Nice, et plus particulièrement à Cimiez, mettent en évidence – comme en Arles – un premier âge chrétien, au plus tard de la deuxième moitié du IVe siècle. Ces découvertes permettent une meilleure appréhension de sites similaires en Corse.

La Corse chrétienne au IVe siècle


De nouvelles fouilles sur la colline de Cimiez à Nice viennent de mettre en évidence le caractère précoce de la christianisation du lieu. Une hypothèse voulait que ladite christianisation et ses témoignages archéologiques remontent au Ve siècle pour Fernand Benoît à Nice dans les années soixante et Philippe Pergola plus récemment en ce qui concerne la Corse. Et pourtant, il y a quarante ans déjà, Geneviève Moracchini-Mazel mettait en évidence un paléochrétien insulaire du IVe siècle. La datation proposée était largement étayée par l’archéologie, l’architecture, l’architectonique, la céramique, la numismatique, la mosaïque, etc. Et pourtant, certains ont préféré se ranger du côté des hypothèses plus tardives. Notamment en pensant à des fondations issues du clergé africain exilé au Ve siècle et venant trouver refuge en Corse. Cependant, Philippe Pergola reconnaît désormais cette proposition comme « fragile au regard des dernières datations archéologiques » [voir l’article du journal le Monde paru le 24 juin 2005].

Le sens de l’histoire


La Corse au IVe siècle comme au Ve, n’échappe pas au train de l’histoire et si le clergé africain aborde les rivages insulaires comme ceux du bassin méditerranéen chrétien, il rejoint un territoire christianisé dès la première heure avec ses complexes architecturaux de Mariana, Ficaria, Sagone, Rescamone, etc. Leur éventuelle présence aura sans doute un impact dans les remaniements, restaurations et constructions nouvelles, mais ils n’interviendront que dans un territoire chrétien qui les accueille.

Entre Cimiez et Mariana


En Corse comme ailleurs ce sont les cuves baptismales qui montrent le plus d’indices pour une datation cohérente. A Cimiez, l’archéologue et conservateur du musée, Monique Jannet, reconnaît, grâce aux nouvelles campagnes de fouilles, l’existence in situ d’un baptistère « au plus tard du IVe siècle… » et le Ve n’est qu’une suite logique et non pas créatrice… Ce même phénomène est tout à fait admissible en Corse. Cela a été démontré il y a de nombreuses années. De jeunes chercheurs aujourd’hui de l’Université de Corse avec le CERPAM (centre d’études romaines, paléochrétiennes et d’archéologie médiévale) comme Frédérique Nucci et Stéphane Orsini admettent et défendent ce « IVe ». Leurs travaux confortent les premières conclusions désormais incontournables de Geneviève Moracchini-Mazel. Les nouvelles fouilles menées à Nice ne sont bien évidemment pas les seules à mettre en exergue cette chronologie puisque déjà en 2003 un constat identique était fait au couvent St-Césaire à Arles. Les trouvailles se multiplient en Italie, un peu plus loin vers l’Espagne et très bientôt Ajaccio devrait pouvoir avancer la même datation pour son baptistère paléochrétien. Déjà, il y a longtemps, en 1938, la figure emblématique du premier âge chrétien, « Le Bon Pasteur », donnait le ton pour la cité impériale.

Découvertes majeures de la Corse du IVe siècle


Le site le plus spectaculaire, concernant le premier âge chrétien en Corse est certainement celui de Mariana qui a révélé un riche matériel, remarquablement étudié. Les nouvelles trouvailles et recherches menées ici et là en Méditerranée, permettront par l’exemple (à l’échelle), d’avérer indiscutablement « l’âge d’or de l’empereur Constantin en Corse »…
Mais il y a aussi les sites de Ficaria, Rescamone, Sagone, Bravone, qui ont révélé des baptistères primitifs, un même matériel archéologique tout à fait probant comme le chrisme de Mariana. Parmi les nombreuses monnaies à l’effigie du célèbre empereur (qui a autorisé la religion chrétienne) trouvées sur ces sites, quelques unes – parmi les plus précieuses – sont celles de l’empereur Magnence (350-353) avec un chrisme au revers. L’une d’entre elles a été retrouvée à Ficaria (Pianottoli Caldarello) et est issue des ateliers de Trêves. C’est de ce lieu que le patriarche d’Alexandrie, Athanase (295-373) farouche adversaire de l’arianisme, effectuait une sorte de prosélytisme notamment par le biais de la frappe des monnaies portant le chrisme. Le monogramme du Christ avec l’alpha et l’oméga est également un symbole fort de ces premiers temps et quand il se porte sur la monnaie de Magnence, il nous offre une datation extrêmement précise, celle de 353 comme l’a confirmé la numismate Claude Brénot qui a étudié les monnaies issues du site de Ficaria. Quelques années auparavant une monnaie identique avait été trouvée à Cimiez. Elle avait fait dire à l’éminent Gustave Glotz qu’il s’agissait là de « la plus grande affirmation numismatique (du IVe) du christianisme dans l’Antiquité » (in « Corsica Sacra » vol I, éditions A Stamperia). Et les exemples d’hier sont confirmés par ceux d’aujourd’hui. Ils vont sans doute permettre un peu plus de sérénité dans l’archéologie paléochrétienne en Corse à partir des premières conclusions avancées par Geneviève Moracchini-Mazel, loin des conflits stériles qui n’ont fait que nuire à l’histoire et au patrimoine insulaire.

Pierre Claverie

Développement urbain et sauvegarde du patrimoine : le site Alban, une leçon pour l’avenir ?

Source : conférence donnée à Aiacciu le 10 décembre 2005.
Auteur : Stéphane Orsini


En guise d’introduction à l’intervention de Geneviève Moracchini-Mazel, je reprendrai brièvement les données présentées dans un article rédigé le 26 avril dernier et paru dans le journal U Ribombu au début du mois de mai, quelques semaines donc avant l’annonce officielle de la découverte du baptistère par l’équipe de l’INRAP.
En 1967, Geneviève Moracchini-Mazel pouvait déjà écrire dans son ouvrage de référence consacré aux monuments paléochrétiens de la Corse : « Nous avons parcouru en tous sens le grand champ qui s’étend près de la chapelle funéraire de la famille Pugliesi-Conti (…) ; il se distingue par sa terre noire à la surface de laquelle nous avons recueilli de nombreux tessons de poterie, et il s’agit certainement en effet d’une terre de cimetière ; c’est non loin de là, sous l’actuelle briqueterie Casamarte, à notre avis, qu’il conviendra de rechercher les vestiges de l’église paléochrétienne».
L’archéologue, spécialiste des premiers temps du christianisme en Corse et de la période romane, était déjà convaincue il y a plus de 40 ans de la présence à cet endroit d’une basilique primitive, siège épiscopal du diocèse d’Agiation/Adiatium/Aiaccium mentionné dans la cosmographie de l’Anonyme de Ravenne (compilation réalisée au VIIe s. d’après des sources plus anciennes) et dans une lettre rédigée en 601 par le pape Grégoire le Grand. Ainsi, loin d’être une surprise, les résultats des travaux préliminaires effectués en 1963 par Geneviève Moracchini-Mazel, comme la mise au jour, au départ des fouilles, d’un important ensemble funéraire sur le site de l’ancienne usine Alban, ne font en réalité que confirmer ces maigres sources écrites heureusement complétées par les traditions orales et les nombreuses découvertes fortuites relatives à cette zone, dont beaucoup ont été publiées depuis le XIXe siècle. En effet, nombreux ont été les érudits, hommes d’église ou fonctionnaires, qui ont rapporté les fréquentes trouvailles faites dans les vignes situées au lieu-dit St-Jean. Déjà au milieu du XVIIIe siècle, Goury de Champgrand (Charles-Jean ou Jean-François ?), officier français qui fut commissaire des guerres en Corse de 1739 à 1741, et auteur d'une "Histoire de l'isle de Corse" publiée en 1749 à Nancy, signale qu' "on y trouva [à St-Jean] des petites médailles qui paraissent fort antiques".
En 1835, F. Robiquet parle lui de monnaies romaines et d’anciennes sépultures trouvées à différentes époques « dans les vignes dites de St-Jean, situées sur la gauche de la route de Bastia, entre la chapelle Sainte-Lucie et Castel-Vecchio ».
Utilisant probablement les mêmes sources, Prosper Mérimée, après avoir consigné ses commentaires dans Notes d’un voyage en Corse (1840), décrit à nouveau dans une lettre en date du 4 mars 1842 des vases découverts « aux environs d’Ajaccio dans les vignes de St-Jean, lieu que l’on suppose l’emplacement de l’ancienne ville d’Urcinium. Ces urnes contiennent en général des ossements humains et quelques lambeaux d’étoffes ».
Une description semblable est donnée en 1852 par F. C. Marmocchi dans son Abrégé de la géographie de l’île de Corse. L’auteur y dénonce également une « incurie déplorable » ayant entraîné la perte des précieux vestiges mis au jour. Mérimée en avait déjà fait prudemment la remarque. Jugements sévères nuancés cependant dans une Note historique, archéologique et bibliographique publiée en 1871 par Louis Campi qui souligne qu’on a cru à tort que tout s’était perdu…
A la fin du siècle, Mgr De la Foata, alors évêque d’Aiacciu, reprend à son tour une partie de ces informations en ajoutant quelques indications fondamentales susceptibles de guider les recherches en cours et surtout à venir. Il rapporte l’existence d’une ancienne cathédrale dédiée à St-Euphrase au sujet de laquelle une légende raconte que la charpente fut construite par plusieurs évêques africains exilés en Corse lors des persécutions vandales. Malgré des déplacements successifs puis le démantèlement de l’ancienne cathédrale romane de St-Jean — probablement bâtie au XIIe siècle, comme les autres cathédrales pisanes de Corse, et dont la position apparaît nettement sur un dessin génois du milieu du XVIIe siècle représentant la nouvelle cité et le golfe d’Aiacciu — ses vestiges étaient encore visibles au milieu du XVIIIe siècle « sous les oliviers qui avoisinent la chapelle sépulcre de la famille Pugliesi (…) : la chapelle même occuperait une partie du chœur de l’ancienne cathédrale ».
Mgr De la Foata précise également qu’avant l’édification de la cathédrale actuelle, les évêques allaient prendre possession de leur titre sur ces ruines comme l’ont longtemps fait par exemple les évêques de Mariana qui, ayant transféré le siège épiscopal de la Canonica à Bastia, avaient conservé jusqu’au XVIIIe siècle la coutume de venir prendre possession de leur diocèse sur le lieu même de l’antique cité.
Autre signe de la longévité de l’édifice roman et du souvenir de l’implantation paléochrétienne, Jérôme Campi — tout en rappelant à nouveau que « l’ancien Adjacium du vignoble de Saint-Jean avait eu également deux cathédrales dont les noms seuls sont parvenus jusqu’à nous : Saint-Euphrase d’abord, et en dernier lieu Saint-Jean » — signale dans son ouvrage Edifices religieux d’Ajaccio (1913, p. 70) qu’avant 1790 « on voyait dans le grand salon du palais épiscopal deux toiles représentant deux Synodes tenus dans l’antique cathédrale de St-Jean ».
En fait, si, à ce jour, nous ignorons pratiquement tout de la basilique primitive probablement érigée à la fin de l’Antiquité, la cathédrale romane dédiée à St-Jean-Baptiste — qui porte aussi le titre de plebania, double fonction qui se retrouve également à Mariana, Sagone ou encore St-Florent — a pour sa part été décrite de manière détaillée par Mgr Mascardi en 1587. Les commentaires de ce visiteur apostolique mentionnant le vocable S. Eufrasio comme étant le titre de l’ancienne cathédrale, nous apprennent qu’il s’agit d’un modeste bâtiment à nef unique mesurant 22 coudées de long sur 10 de large (soit environ 11 m. sur 5). Il se situe à un mille de la nouvelle cité fondée à la fin du XVe siècle par les Génois. L’édifice possède encore un toit, des murs décents et un pavement en relatif bon état. L’intérieur du bâtiment est également décrit. On y pénètre par une porte surmontée d’un oculus. Il y a une clôture de chœur que l’on franchit par des marches et vers l’autel, qui est dit convenable, une sépulture s’élève au-dessus du pavement. Du côté de l’épître se trouve un autre petit autel adossé au mur, très étroit et démoli : s’agissait-il de l’autel dédié à S. Eufrasio dont nous savons par le chroniqueur Filippini qu’il était depuis longtemps le patron titulaire de la cathédrale et que sa fête était célébrée le 1er décembre ? La présence d’un baptistère en activité n’est pas indiquée sans doute parce que les paroissiens, au nombre de cinquante-six à cette époque, résident désormais en ville et y reçoivent les sacrements. Un dernier détail qui a son importance car il éclaire une partie des découvertes archéologiques : les paroissiens se font enterrer dans cette église San Giovanni Battista et dans le cimetière qui l’entoure.
La mise au jour partielle de la nécropole post-médiévale — elle-même installée sur les zones funéraires des périodes précédentes — vient confirmer le texte de Mgr Mascardi et, par la même occasion, indique aux archéologues qu’ils se trouvent désormais à proximité des fondations de la cathédrale romane et des sanctuaires qui l’ont probablement précédée. Au cours du XXe siècle, les découvertes archéologiques fortuites n’ont pas cessé.
En 1933, Antoine Ambrosi faisait le point de ces trouvailles dans le numéro dédiée à la Corse de la Carte archéologique de la Gaule romaine. Quelques années plus tard, en juillet 1938, était retrouvé, près de la zone qui nous intéresse, le sarcophage dit du "Bon Pasteur" qui fut mis au jour sans son couvercle lors de travaux de terrassement. L’étude approfondie des sculptures décorant la face antérieure de ce sarcophage en marbre, attribuable à la fin du IIIe ou au début du IVe siècle, poussent certains chercheurs a y voir des figurations purement païennes, d’autres les classent parmi les représentations paléochrétiennes, pour d’autres encore elles symbolisent une ambiance chrétienne ou au moins préparée à recevoir la nouvelle religion. En tous les cas, ces vestiges marquent à nouveau la présence d’un espace cimétérial et religieux important que les sondages d’urgence réalisés en 1963 par Geneviève Moracchini-Mazel ont permis de révéler un peu plus. L’archéologue, profitant déjà des travaux préparatoires à l’édification d’un immeuble, souhaitait vérifier la supposition de Mgr de la Foata concernant l’emplacement de la chapelle Pugliesi-Conti citée précédemment. Au cours des mini-sondages, 5 sépultures mais surtout des murs anciens superposés ont été localisés à proximité de cette chapelle privée dont les fondations étaient accolées à deux éléments de mur — disposés perpendiculairement, bien taillés et appareillés à joints vifs — qui ont été interprétés comme pouvant être l’angle nord-est de la nef romane de St-Jean décrite plus haut. Malheureusement, il a été impossible faute de temps de suivre le mur du côté est ce qui aurait peut-être permis d’identifier l’abside semi-circulaire traditionnellement présente sur la façade orientale des édifices romans. Les murs de la basilique paléochrétienne n’ont pas pu être formellement reconnus mais leurs arases, qui ne semblent pas servir de fondation aux ruines romanes, devraient se trouver dans les terrains proches de l’ancienne chapelle Pugliesi-Conti. D’autres opérations ont été menées plus récemment, notamment des sondages sur une centaine de m² qui ont été réalisés en 1992 par Paul Agostini. L’étude publiée en 1996 se conclut ainsi : « Il faut souligner l’absence de tout document archéologique dans les zones fouillées dans le sous-sol de l’usine Alban ». Ce qui démontre combien il est important d’effectuer une fouille exhaustive de toutes les parcelles et qu’on ne peut se contenter de sondages pratiqués ici ou là.
Aujourd’hui, l’ampleur des vestiges mis au jour dépasse largement toutes les découvertes effectuées dans le quartier St-Jean depuis plus de 250 ans : 80 tombes d’époques et de types divers, mais aussi des fondations de bâtiments, dont celles du baptistère, qui avaient été provisoirement identifiés comme étant une maison romaine, avec un bassin, peut-être des thermes…
A l’époque je demandais : Que pouvons-nous raisonnablement attendre des travaux menés sur le site de l’usine Alban et dans ses environs ?
En fait, la présence d’une vaste nécropole où se sont succédées au fil des siècles les tombes païennes, paléochrétiennes, médiévales et modernes indique que nous nous trouvons assurément en périphérie de la cité antique. Le cœur de la ville ancienne est ailleurs mais le complexe épiscopal primitif et ses bâtiments annexes ainsi que les structures qui l’ont peut-être précédées, comme des installations thermales en rapport avec la zone portuaire toute proche ou la domus d’un notable local acquis précocement au christianisme, demeurent probablement enfouis à quelques mètres seulement des archéologues qui ont opéré une fois de plus dans l’urgence.
Selon Geneviève Moracchini-Mazel, qui développera ce thème de manière plus détaillée, les vestiges de plusieurs édifices coexistent peut-être encore à portée de truelles. Il s’agit de la basilique primitive qui accompagne le baptistère de la fin du IVe siècle, le souvenir de ce dernier étant conservé par le vocable de la cathédrale romane. Il y a peut-être aussi une église cimétériale consacrée plus tardivement à S. Eufrasio suite à l’épisode des évêques africains exilés par les Vandales au cours du Ve siècle ; le tout complété pourquoi pas par la résidence épiscopale et ses dépendances. Et je poursuivais en me demandant si nous allions passer à nouveau à côté d’une découverte majeure pour la connaissance des périodes antique, paléochrétienne et médiévale de la Corse ? Car il s’agit sans doute de la dernière occasion de disposer d’un terrain d’investigation relativement vaste et cohérent où pourront s’effectuer des découvertes et des études significatives, même si d’autres travaux urbains révèleront plus ponctuellement le passé de la ville d’Ajaccio.
En mai dernier j’écrivais qu’il serait désormais souhaitable que l’opération d’urgence se transforme en véritable fouille programmée — au besoin pluriannuelle une fois les promoteurs équitablement dédommagés et suivant des modalités qui permettraient à l’Université de Corse de s’y associer — cela dans le but d’étudier de la manière la plus exhaustive possible tous les précieux renseignements que recèle le sous-sol de l’usine Alban et ses environs. Je terminais en proposant que des structures adéquates soient envisagées s’il s’avérait nécessaire de préserver et de valoriser in situ les vestiges découverts qui, n’en doutons pas, viendront compléter utilement le corpus des sites paléochrétiens de la Corse et du bassin occidental de la Méditerranée.
Aujourd’hui tout le monde s’accorde pour reconnaître que les vestiges mis au jour sur le site de l’usine Alban représentent une découverte majeure de portée internationale et qu’il faut absolument les préserver, malheureusement les avis divergent sur la manière d’étudier, mais aussi de valoriser, ces derniers témoignages de l’antique Ajaccio. Et en attendant que des décisions soient prises, les structures dégagées, malgré leur caractère exceptionnel et la gestion nous dit-on exemplaire dont elles font l’objet, dépérissent rapidement faute de protection adaptée. Souhaitons que les manifestations comme celle organisée aujourd’hui contribuent à faire évoluer favorablement les positions des uns et des autres afin que le site Alban devienne enfin une véritable leçon pour l’avenir.

Stéphane Orsini
Doctorant en histoire et en archéologie médiévales
Université de Corse

Un baptistère paléochrétien du Ve siècle découvert à Ajaccio

Source : article du journal LE MONDE paru le 25 juin 2005
Auteur : Hervé Morin


Ajaccio, de notre envoyé spécial

Dans des lettres datant de 601, le pape Grégoire le Grand se plaint de la vacance de l'évêché d'Ajaccio. Il déplore aussi les moeurs dissolues du clergé et le retour au paganisme de certaines ouailles dans le centre de l'île. Ces écrits viennent de trouver leur traduction matérielle avec la découverte, dans le quartier Saint-Jean d'Ajaccio, d'un baptistère paléochrétien édifié vers le Ve siècle de notre ère. Qu'on le qualifie simplement de "cruciforme", comme Daniel Istria, qui a dirigé les fouilles pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ou bien de "cuve allongée avec deux niches centrales et accès par un côté", comme son collègue Philippe Pergola (Aix, CNRS), le monument témoigne de la présence, dans le bourg qu'était alors Ajaccio, d'un siège épiscopal.

Hypothèse africaine


La cuve principale (2,68 × 1,39 m, pour une profondeur de 1,34 m) se double d'une cuve arrondie de 80 cm de diamètre, l'ensemble étant contenu dans une abside qui revêtait peut-être la forme d'un trèfle. "Cette architecture est d'inspiration nord-africaine", estime Daniel Istria. A la même époque, la Gaule préfère les cuves hexagonales ou carrées, rappelle l'historien Jean Guyon (Aix, CNRS). Pour Philippe Pergola, cette influence serait la conséquence de l'exil imposé au Ve siècle au clergé chrétien orthodoxe nord-africain par les Vandales, chrétiens et aryens originaires de Scandinavie, qui s'étaient emparés de ses riches domaines. Les bannis se seraient installés dans des îles méditerranéennes, important en Corse leurs reliques, leurs saints, leur organisation en clergé constitué. Cette hypothèse reste cependant fragile au regard des dernières datations archéologiques, reconnaît-il. D'autres ensembles baptismaux de la même période ont déjà été mis au jour en Corse, à Mariana, Sagone, Bravone et Rescamone. Quel type de rite était célébré dans le baptistère d'Ajaccio ? "Avant Charlemagne, il n'y a pas d'unification liturgique", indique Jean Guyon, qui décrit les grandes lignes de cette "cérémonie initiatique" : "Elle avait lieu une fois par an, pendant la nuit de Pâques. Le croyant devait renoncer à Satan, pénétrer dans la piscine, y subir une triple immersion, avant d'être oint d'huile. Il pouvait ensuite assister à l'Eucharistie."

Différence de rituel


Les fouilles indiquent que le rite a évolué au fil du temps. Le volume du baptistère a été réduit à deux reprises. Quelle était la fonction de la seconde cuve circulaire ? Lavement des pieds des catéchumènes ? Différence de rituel entre hommes, femmes et enfants ? "On ne peut conclure", admet Daniel Istria. Le chercheur convient aussi que l'architecture du site n'est pas totalement comprise. Plusieurs murs se croisent. L'emplacement de la cathédrale, à laquelle le baptistère était relié, n'est pas non plus précisément connu. Ce qui est certain, c'est qu'un cimetière prend place sur le site après l'abandon assez rapide du baptistère. Quelque 80 tombes, datées du VIe au XIIe siècle, ont été exhumées, ainsi que nombre de céramiques, des tuiles portant des inscriptions et quelques bijoux et monnaies. Les fouilles ont été marquées, fin avril, par l'intervention sur le chantier du groupe Unione nazionale, qui, dénonçant un "crime contre la Corse", réclamait la préservation du site et l'association de l'université de Corse aux fouilles à venir. Celles-ci sont désormais terminées sur le site de l'ancienne manufacture de tabac désaffectée. Prescrites par l'Etat, elles ont été financées ­ fait assez rare pour être mentionné ­ par un particulier, Joseph-Marie Torre, qui souhaitait construire un parking et un immeuble sur la parcelle. Après la découverte, le propriétaire a décidé de la céder à la commune d'Ajaccio, afin que les vestiges puissent être conservés.


Hervé Morin