jeudi, février 26, 2009

Ajaccio avant Ajaccio, l'histoire médiévale de la cité

Source : Corse-Matin du dimanche 22 février 2009, p. 6.
Auteur : Philippe COLOMBANI

La ville actuelle a été fondée en 1492. Son histoire ne commence pas là, elle traverse l'antiquité et le Moyen Age. Philippe Colombani en présente les grandes périodes.

Philippe Colombani est professeur d'histoire au lycée Laetitia et médiéviste. En parallèle à son travail de thèse sur le conflit entre Gênes et l'Aragon, il s'est intéressé au passé de la ville durant la période médiévale. Il nous conte cette histoire.
Les récentes découvertes archéologiques faites sur le site Alban ont permis un regain d'intérêt pour la plus ancienne histoire d'Ajaccio. Les vestiges du baptistère, de l'église et de sa nécropole nous rappellent qu'avant la fondation de la ville actuelle par les Génois en 1492, il a existé, durant toute l'antiquité et le Moyen Age, un autre Ajaccio dont les modestes traces ont été recouvertes par l'urbanisation récente. Les sources manquent pour connaître l'aspect et l'importance de cette agglomération médiévale mais, en croisant les informations fournies par les documents d'époque, la toponymie et l'archéologie, il est possible de reconstituer l'histoire de cet Ajaccio.

L'antiquité romaine

Le baptistère dégagé lors des fouilles menées par Daniel Istria a été construit au Ve siècle ap. J.-C. A cette époque, Ajaccio est une petite agglomération portuaire qui s'étendait entre les quartiers actuels de Sainte-Lucie et de Saint-Jean, au fond du golfe. Aucune fouille n'a, jusqu'ici, permis de retrouver des vestiges mais les paysans qui cultivaient ces terrains jusqu'aux années 1950 découvraient souvent, lors de travaux agricoles, des tombes ou des objets datant de l'antiquité romaine. Bien que ne figurant pas dans la liste des cités romaines (comme Aleria ou Mariana), Ajaccio est le siège d'un évêché, ce qui explique la présence du baptistère et d'une église cathédrale placée sous le vocable de Sant'Eufrasio. Les fouilles ont montré l'existence d'un centre artisanal dynamique autour de l'ensemble ecclésial qui se maintient juqu'au VIIe siècle.

Les siècles noirs

Passé cette date, nous perdons toute trace documentaire de la ville, ce sont "les siècles noirs" pendant lesquels le royaume carolingien d'Italie, dont la Corse fait partie, est désorganisé par des conflits internes et par les raids menés par les flottes musulmanes depuis l'Espagne ou le Magreb. Il faut attendre le XIe siècle pour que les flottes de Pise et de Gênes reprennent le contrôle des îles de Méditerranée.

Le renouveau pisan

Le pape confie alors l'administration de la Corse à l'évêque, bientôt archevêque, de Pise qui lance un vaste programme de réorganisation religieuse et administrative. Une nouvelle cathédrale, placée sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste est construite, probablement au XIe siècle. Une église San Fructuoso est encore attestée mais on ignore s'il s'agit d'un double vocable accolé à Saint-Jean ou d'un autre édifice. La nouvelle cathédrale qui a laissé son nom au quartier Saint-Jean reste en fonction pendant tout le Moyen Age, une description du XVIe siècle nous la présente comme un édifice de style roman pisan de taille modeste (11 mètres sur 5) entourée d'un cimetière. On peut supposer que l'église était le centre d'une petite agglomération mais nous en avons perdu toute trace.

Les Génois fondent le Castel Lombardo

Le site d'Ajaccio semble pourtant attractif puisqu'en 1272, la commune de Gênes cherche à y implanter une colonie de cent familles venues d'Italie.
La nouvelle fondation baptisée Castel Lombardo fait partie d'un projet génois visant à disposer de points d'appui sur la côte ouest de la Corse, à partir de Bonifacio jusqu'à Calvi, cette dernière place forte étant fondée à la même époque. Les documents suggèrent que le Castel Lombardo se trouvait sur la colline de Castel Vecchio. Bien que fortifiée, la colonie périclite et l'on perd sa trace au XIVe siècle, seul subsiste, à Castel Vecchio, un château, tenu par les seigneurs de Cinarca qui dominent la région ou par les Génois.

Un site convoité

Malgré cet échec, Ajaccio reste un site convoité, du fait de son mouillage sûr et de son riche arrière-pays. En 1397, le roi d'Aragon, Martin Ier, y débarque pour affirmer ses droits sur la Corse que le pape a donné en fief à l'Aragon un siècle plus tôt. En 1405, Vincentello d'Istria, chef du parti pro-aragonais en Corse, propose à ce même roi de fonder, à Ajaccio, une colonie de 4 000 habitants qui serait "la clé de toute la Corse". Le projet, trop coûteux, est abandonné mais révèle l'intérêt stratégique du site.

La refondation génoise

A la fin du XVe siècle, ce sont les Génois qui reprennent l'idée. Ils abandonnent le Castel Vecchio, jugé trop difficile à défendre et surtout trop proche des zones des Salines et des Padules devenues insalubres à cause des eaux stagnantes (les toponymes sont évocateurs) et choisissent la pointe de la Leccia, plus sûre et plus saine, pour y construire l'actuelle citadelle. La ville nouvelle se développe pendant que l'ancienne tombe peu à peu dans l'oubli. Saint-Jean reste un lieu de culte avant d'être utilisé comme carrière de pierre à la fin du XVIIIe siècle, quant au château, ruiné, il est remplacé par une redoute construite par les Français après la conquête de l'île. Paradoxe de l'histoire, c'est à l'emplacement du plus ancien Ajaccio que s'élèvent, aujourd'hui, les quartiers les plus récents. Sous leurs fondations subsiste, peut-être, un patrimoine à redécouvrir qui, pour modeste qu'il fut, n'en n'est pas moins la marque de leur appartenance à la longue histoire d'Ajaccio.

Philippe COLOMBANI