mercredi, juin 14, 2006

Un baptistère paléochrétien du Ve siècle découvert à Ajaccio

Source : article du journal LE MONDE paru le 25 juin 2005
Auteur : Hervé Morin


Ajaccio, de notre envoyé spécial

Dans des lettres datant de 601, le pape Grégoire le Grand se plaint de la vacance de l'évêché d'Ajaccio. Il déplore aussi les moeurs dissolues du clergé et le retour au paganisme de certaines ouailles dans le centre de l'île. Ces écrits viennent de trouver leur traduction matérielle avec la découverte, dans le quartier Saint-Jean d'Ajaccio, d'un baptistère paléochrétien édifié vers le Ve siècle de notre ère. Qu'on le qualifie simplement de "cruciforme", comme Daniel Istria, qui a dirigé les fouilles pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ou bien de "cuve allongée avec deux niches centrales et accès par un côté", comme son collègue Philippe Pergola (Aix, CNRS), le monument témoigne de la présence, dans le bourg qu'était alors Ajaccio, d'un siège épiscopal.

Hypothèse africaine


La cuve principale (2,68 × 1,39 m, pour une profondeur de 1,34 m) se double d'une cuve arrondie de 80 cm de diamètre, l'ensemble étant contenu dans une abside qui revêtait peut-être la forme d'un trèfle. "Cette architecture est d'inspiration nord-africaine", estime Daniel Istria. A la même époque, la Gaule préfère les cuves hexagonales ou carrées, rappelle l'historien Jean Guyon (Aix, CNRS). Pour Philippe Pergola, cette influence serait la conséquence de l'exil imposé au Ve siècle au clergé chrétien orthodoxe nord-africain par les Vandales, chrétiens et aryens originaires de Scandinavie, qui s'étaient emparés de ses riches domaines. Les bannis se seraient installés dans des îles méditerranéennes, important en Corse leurs reliques, leurs saints, leur organisation en clergé constitué. Cette hypothèse reste cependant fragile au regard des dernières datations archéologiques, reconnaît-il. D'autres ensembles baptismaux de la même période ont déjà été mis au jour en Corse, à Mariana, Sagone, Bravone et Rescamone. Quel type de rite était célébré dans le baptistère d'Ajaccio ? "Avant Charlemagne, il n'y a pas d'unification liturgique", indique Jean Guyon, qui décrit les grandes lignes de cette "cérémonie initiatique" : "Elle avait lieu une fois par an, pendant la nuit de Pâques. Le croyant devait renoncer à Satan, pénétrer dans la piscine, y subir une triple immersion, avant d'être oint d'huile. Il pouvait ensuite assister à l'Eucharistie."

Différence de rituel


Les fouilles indiquent que le rite a évolué au fil du temps. Le volume du baptistère a été réduit à deux reprises. Quelle était la fonction de la seconde cuve circulaire ? Lavement des pieds des catéchumènes ? Différence de rituel entre hommes, femmes et enfants ? "On ne peut conclure", admet Daniel Istria. Le chercheur convient aussi que l'architecture du site n'est pas totalement comprise. Plusieurs murs se croisent. L'emplacement de la cathédrale, à laquelle le baptistère était relié, n'est pas non plus précisément connu. Ce qui est certain, c'est qu'un cimetière prend place sur le site après l'abandon assez rapide du baptistère. Quelque 80 tombes, datées du VIe au XIIe siècle, ont été exhumées, ainsi que nombre de céramiques, des tuiles portant des inscriptions et quelques bijoux et monnaies. Les fouilles ont été marquées, fin avril, par l'intervention sur le chantier du groupe Unione nazionale, qui, dénonçant un "crime contre la Corse", réclamait la préservation du site et l'association de l'université de Corse aux fouilles à venir. Celles-ci sont désormais terminées sur le site de l'ancienne manufacture de tabac désaffectée. Prescrites par l'Etat, elles ont été financées ­ fait assez rare pour être mentionné ­ par un particulier, Joseph-Marie Torre, qui souhaitait construire un parking et un immeuble sur la parcelle. Après la découverte, le propriétaire a décidé de la céder à la commune d'Ajaccio, afin que les vestiges puissent être conservés.


Hervé Morin