jeudi, avril 23, 2009

Depuis 600, l'Aiacium de Grégoire le Grand

Source : rubrique "Notre histoire" de La Corse Votre Hebdo, n° 505, 17 au 23 avril 2009, p. 19.
Auteur : Paul SILVANI


En ce temps-là, la vallée de San Ghjuvanni descendait en pente douce vers la mer, là où devaient quelques siècles plus tard être construits le petit port militaire dit de la Défense (mobile) ou le "quai des torpilleurs" et la gare ferroviaire. Ce petit port était situé en bordure des Canne, là ou venaient accoster ou relâcher les esquifs de l'antiquité et, ensuite, les bâtiments à voile qui faisaient localement commerce. Il y a aujourd'hui le port de plaisance Charles-Ornano, dit aussi de l'Amirauté parce qu'à la Libération, l'état-major d'Alger y installa un amiral. Quant au terre-plein de la gare, où les occupants anglais avaient, en 1794-1796 créé un arsenal, il fut gagné sur la mer dans les années 1880, lors de la construction du chemin de fer, grâce à l'apport des milliers de mètres-cubes de granit et de tuf provenant du percement du tunnel d'Aspretto.
L'antique Aiacium cité en l'an 600 par Grégoire le Grand, l'Agiation dont on trouve trace dans les décennies suivantes dans la cosmographie de l'Anonyme de Ravenne, n'était constituée que d'une dizaine de hameaux disséminés dans la campagne de Castelvecchio et sur la colline de Saint-Jean, et autour d'elles. Ils témoignaient alors d'une occupation antérieure bien plus reculée.
C'est là, en tout cas, que furent découvertes au début du XXe siècle des sépultures romaines et, en 1937, le magnifique sarcophage du Bon Pasteur exposé dans le hall du palais Lantivy.

En 1457, San Ghjuvanni



C'est là aussi que, selon Mgr Della Foata, évêque d'Ajaccio, s'élevait la cathédrale San Ghjuvanni construite en 1457, dont "les murs étaient encore visibles en 1757". Le site est encore riche de maints vestiges, que les recherches de Geneviève Moracchini-Mazel dans les années 1960 et celles, récemment menées, par M. Istria et son équipe ont heureusement mis en valeur.
Les fouilles sur le site Alban ont été permises grâce à l'établissement par l'actuelle municipalité et la DRAC de la Carte archéologique d'Ajaccio, qui comporte quatre zones : ville génoise, Saint-Jean I, Saint-Jean II et Castelvecchio. En conséquence de quoi, tout projet de construction y implique l'établissement d'un diagnostic archéologique. C'est ce qu'à demandé le promoteur Joseph-Marie Torre avant même le dépôt de son permis de construire : un diagnostic effectué, dès juillet 2004, par l'Institut national de la Recherche archéologique préventive. D'où les fouilles préventives du 14 mars au 10 juin 2005, et la découverte de plusieurs dizaines de sépultures remontant au Moyen Âge et d'un baptistère paléochrétien. On peut désormais penser que s'élevait ici la cathédrale dont parle Mgr Della Foata.
Ces fouilles, soit dit en passant, ont été effectuées à l'initiative de la municipalité et aux frais du propriétaire de la parcelle. L'agitation qui les a entourées était donc superflue car il n'y a pas à Ajaccio ceux qui n'entendraient pas connaître l'histoire et ceux qui le voudraient. La mise au point du maire-adjoint Paul-Antoine Luciani a été sur ce point (comme d'ailleurs sur d'autres), d'une clarté limpide.

De la plaine du Pô à Castel Lombardo

La première tentative de colonisation génoise remonte à 1272. Dans le catalogue de la remarquable exposition présentée en 1992 au Musée Fesch, "Ajaccio 1492, naissance d'une ville génoise", le professeur Jean-André Cancellieri, spécialiste de l'histoire du Moyen Âge à l'Université de Corse, explique qu'au printemps 1272 une centaine d'agriculteurs de la plaine du Pô avaient, sous la conduite de quatre citoyens génois dont l'un était qualifié de "châtelain", été envoyés dans la région afin de mettre en valeur les terres fertiles, mais marécageuses et ravagées par la malaria, de la zone Campo del'Oro-Pisciatello. Gênes s'efforçait ainsi d'occuper l'espace entre les cités dont elle s'était emparée, Calvi et Bonifacio, c'est-à-dire de faire pièce à la pression des féodaux conduits par le fameux Giudice di Cinarca.
"Mais Castel Lombardo fut éphémère, raconte Jean-André Cancellieri. Il fut victime, deux ans après son établissement, d'un débarquement de la flotte de Charles 1er d'Anjou. Il ne survécut que quelques années à cette épreuve, sans doute à cause des méfaits du paludisme, de l'agressivité seigneuriale à l'encontre de ce kyste colonial, et de l'hostilité générale des populations montagnardes environnantes menacées de perdre le libre usage de leur domaine traditionnel de transhumance d'hiver".
Quoi qu'il en advint, un inspecteur de l'hôpital militaire d'Ajaccio où il séjourna huit ans sous l'Empire, Vérard qui se passionne pour l'histoire (1), rapporte qu'en 1740 on voyait les ruines d'Aïze près du grand chemin qui conduit actuellement d'Ajaccio à Vico. Il ajoute : "On remarque encore aujourd'huià la gauche de cette route l'emplacement d'une église qui fut dédiée à Saint-Jean dans les premiers temps de l'introduction du chritianisme en Corse". Il cite, citant d'autres détails, "l'auteur, qui ne se nomme pas, d'une histoire de l'île imprimée à Nancy en 1748". Vérard précise qu'en 1810, on n'a trouvé presque aucun vestige de ce que cet écrivain dit avoir observé près d'Ajaccio, tant à San Ghjuvanni qu'à Sant'Antone.
Plusieurs décennies s'écouleront dès lors avant que Gênes ne décide d'établir en même temps qu'"un nouveau verrou colonial et un pôle de développement urbain", " un solide point d'appui militaire sur une longue portion de côtes menacées par la piraterie catalane et déjà barbaresque".

Le 30 avril 1492

En cette seconde partie du XVe siècle, les guerres font rage, qui impliquent Gênes, Milan, l'Aragon, plusieurs branches des Cinarchese. La zone occidentale de l'île en est le théâtre particulier, ce qui explique que, dès 1457, l'Office de Saint-Georges, à qui la Superba Repubblica di Genova a cédé la Corse, conçoit le projet de construire une forteresse à Ajaccio.
La nécessité de réduire les seigneurs De Leca se fait plus pressante au fil des années et, en mars 1489, Ambroggio de Negri écrit aux Protecteurs :
"Je rappelle à Vos Seigneuries que, si elles veulent la paix, il faut dépeupler la région et peupler Ajaccio, y construire une forteresse et détruire complètement la race des Leca".
Près d'un quart de siècle suffira pour accomplir ce programme, et obtenir la soumission des féodaux Della Rocca, De Leca, D'IStria, D'ornano et De Bozzi.
Le 14 avril 1492 étaient en effet arrivés à Ajaccio les nobles Domenico di Negroni, Gregorio de Grimaldi, et Damiano Luscardo de Franchi, accompagnés de l'architecte milanais Cristoforo de Gandino. Ils avaient pour mission de consruire la nouvelle ville sur un site facile à défendre, éloigné de deux milles de la ville existante, qui est située dans une zone insalubre, entourée de mares croupissantes en lisière du littoral, appelées I Canne, I Padule, I Saline - noms de lieux qui, maladroitement francisés, sont devenus ceux des quartiers actuels.
Procès-verbal avait été dressé le 16 avril à bord de leur navire : la cité sera édifiée sur le promontoire de Capo di Bolli, l'actuelle vieille ville, et le Château-fort à la Punta della leccia, l'emplacement de la citadelle. Les fondateurs avaient tous les atouts dans leur jeu, jusqu'à l'horoscope de la nouvelle ville qu'un astrologue venu lui aussi de Gênes avait tiré !
La première pierre était posée le 30 avril 1492 à 19h20, et c'est ce cinquième centenaire qui a été commémoré en 1992. Ultime détail apporté par Vérard : "en 1774, on trouva une pierre formant un des côtés de la porte d'une maison d'Ajaccio sur laquelle on lisait ces mots en lettres sculptées : Henry II, roi de France et seigneur de Corse, 1556". M. le comte de Saint-Germain, alors ministre de la guerre sous le règne de Louis XV, ordonna que la pierre fût enlevée, et placée sur l'un des bastions de cette forteresse".

Paul SILVANI

(1) Retrouvé par le regretté Marcel Pesce, le manuscrit (4 volumes) a été édité par Alain Piazzola en 1999.