mercredi, juin 14, 2006

Les débuts de la chrétienté en Corse et à Nice

Source : article Corse-Matin du lundi 6 mars 2006, p. 24.
Auteur : Pierre Claverie

De nouvelles fouilles menées à Nice, et plus particulièrement à Cimiez, mettent en évidence – comme en Arles – un premier âge chrétien, au plus tard de la deuxième moitié du IVe siècle. Ces découvertes permettent une meilleure appréhension de sites similaires en Corse.

La Corse chrétienne au IVe siècle


De nouvelles fouilles sur la colline de Cimiez à Nice viennent de mettre en évidence le caractère précoce de la christianisation du lieu. Une hypothèse voulait que ladite christianisation et ses témoignages archéologiques remontent au Ve siècle pour Fernand Benoît à Nice dans les années soixante et Philippe Pergola plus récemment en ce qui concerne la Corse. Et pourtant, il y a quarante ans déjà, Geneviève Moracchini-Mazel mettait en évidence un paléochrétien insulaire du IVe siècle. La datation proposée était largement étayée par l’archéologie, l’architecture, l’architectonique, la céramique, la numismatique, la mosaïque, etc. Et pourtant, certains ont préféré se ranger du côté des hypothèses plus tardives. Notamment en pensant à des fondations issues du clergé africain exilé au Ve siècle et venant trouver refuge en Corse. Cependant, Philippe Pergola reconnaît désormais cette proposition comme « fragile au regard des dernières datations archéologiques » [voir l’article du journal le Monde paru le 24 juin 2005].

Le sens de l’histoire


La Corse au IVe siècle comme au Ve, n’échappe pas au train de l’histoire et si le clergé africain aborde les rivages insulaires comme ceux du bassin méditerranéen chrétien, il rejoint un territoire christianisé dès la première heure avec ses complexes architecturaux de Mariana, Ficaria, Sagone, Rescamone, etc. Leur éventuelle présence aura sans doute un impact dans les remaniements, restaurations et constructions nouvelles, mais ils n’interviendront que dans un territoire chrétien qui les accueille.

Entre Cimiez et Mariana


En Corse comme ailleurs ce sont les cuves baptismales qui montrent le plus d’indices pour une datation cohérente. A Cimiez, l’archéologue et conservateur du musée, Monique Jannet, reconnaît, grâce aux nouvelles campagnes de fouilles, l’existence in situ d’un baptistère « au plus tard du IVe siècle… » et le Ve n’est qu’une suite logique et non pas créatrice… Ce même phénomène est tout à fait admissible en Corse. Cela a été démontré il y a de nombreuses années. De jeunes chercheurs aujourd’hui de l’Université de Corse avec le CERPAM (centre d’études romaines, paléochrétiennes et d’archéologie médiévale) comme Frédérique Nucci et Stéphane Orsini admettent et défendent ce « IVe ». Leurs travaux confortent les premières conclusions désormais incontournables de Geneviève Moracchini-Mazel. Les nouvelles fouilles menées à Nice ne sont bien évidemment pas les seules à mettre en exergue cette chronologie puisque déjà en 2003 un constat identique était fait au couvent St-Césaire à Arles. Les trouvailles se multiplient en Italie, un peu plus loin vers l’Espagne et très bientôt Ajaccio devrait pouvoir avancer la même datation pour son baptistère paléochrétien. Déjà, il y a longtemps, en 1938, la figure emblématique du premier âge chrétien, « Le Bon Pasteur », donnait le ton pour la cité impériale.

Découvertes majeures de la Corse du IVe siècle


Le site le plus spectaculaire, concernant le premier âge chrétien en Corse est certainement celui de Mariana qui a révélé un riche matériel, remarquablement étudié. Les nouvelles trouvailles et recherches menées ici et là en Méditerranée, permettront par l’exemple (à l’échelle), d’avérer indiscutablement « l’âge d’or de l’empereur Constantin en Corse »…
Mais il y a aussi les sites de Ficaria, Rescamone, Sagone, Bravone, qui ont révélé des baptistères primitifs, un même matériel archéologique tout à fait probant comme le chrisme de Mariana. Parmi les nombreuses monnaies à l’effigie du célèbre empereur (qui a autorisé la religion chrétienne) trouvées sur ces sites, quelques unes – parmi les plus précieuses – sont celles de l’empereur Magnence (350-353) avec un chrisme au revers. L’une d’entre elles a été retrouvée à Ficaria (Pianottoli Caldarello) et est issue des ateliers de Trêves. C’est de ce lieu que le patriarche d’Alexandrie, Athanase (295-373) farouche adversaire de l’arianisme, effectuait une sorte de prosélytisme notamment par le biais de la frappe des monnaies portant le chrisme. Le monogramme du Christ avec l’alpha et l’oméga est également un symbole fort de ces premiers temps et quand il se porte sur la monnaie de Magnence, il nous offre une datation extrêmement précise, celle de 353 comme l’a confirmé la numismate Claude Brénot qui a étudié les monnaies issues du site de Ficaria. Quelques années auparavant une monnaie identique avait été trouvée à Cimiez. Elle avait fait dire à l’éminent Gustave Glotz qu’il s’agissait là de « la plus grande affirmation numismatique (du IVe) du christianisme dans l’Antiquité » (in « Corsica Sacra » vol I, éditions A Stamperia). Et les exemples d’hier sont confirmés par ceux d’aujourd’hui. Ils vont sans doute permettre un peu plus de sérénité dans l’archéologie paléochrétienne en Corse à partir des premières conclusions avancées par Geneviève Moracchini-Mazel, loin des conflits stériles qui n’ont fait que nuire à l’histoire et au patrimoine insulaire.

Pierre Claverie